La fondation Changing Markets décrédibilise les écolabels

Publié le 5 mai 2018 à 9:00 Aujourd'hui

La fondation Changing Markets a publié un rapport jeudi 3 mai 2018 intitulé « la fausse promesse de la certification » qui remet en cause la fiabilité et les bienfaits des écolabels dans les secteurs de l’huile de palme (RSPO), de la pêche (MSC) et du textile (BCI).

Les labels et les certifications doivent aider les consommateurs à identifier « rapidement et facilement les produits durables, sans avoir à devenir des experts de la chaîne d’approvisionnement ». Il existe actuellement 460 labels dans 25 secteurs différents selon l’Ecolabel Index 2018, un nombre important dont la plupart ont émergé au cours de ces vingt dernières années. Mais pour la fondation Changing Markets, cette multiplication des certifications n’aide pas réellement la transition des marchés vers un développement durable. Au contraire, elle est source de confusion pour les consommateurs et l’industrie, tandis que les labels ne remplissent pas pleinement leur rôle. Selon le rapport que la fondation Changing Markets a publié jeudi 3 mai 2018, les écolabels dans les secteurs de l’huile de palme, de la pêche et du textile ne tiennent pas les promesses qu’ils mettent en avant, comme aider à mettre fin à la déforestation, à la surpêche et à la pollution textile.

L’huile de palme certifiée RSPO n’empêche pas la déforestation

On vous parlait déjà de l’huile de palme ici et de son mode de production profondément néfaste pour l’écosystème. On la trouve aujourd’hui partout sur le marché (dans les pâtes à tartiner comme le célèbre Nutella, les cosmétiques, les soupes, les chips, la margarine, les biscuits, la mayonnaise, les céréales, le chocolat etc.), ce qui en a fait l’huile la plus consommée au monde (à près de 7 millions de tonnes en 2015 en Europe). En 2014, l’Indonésie et la Malaisie ont produit plus de 48 tonnes d’huile de palme, recouvrant ainsi 12 millions d’hectares de terre avec des palmeraies. Pour installer ces derniers, les multinationales détruisent au préalable les forêts tropicales, et avec elles la biodiversité. En 2010, Greenpeace affirmait que l’Indonésie vivait l’un des plus importants rythmes de déforestation de la planète, avec la disparition de « l’équivalent d’un stade de foot toutes les 15 secondes ».

Pour contrer ce chaos environnemental, les associations et les industries avaient cofondé un label en 2004 : « la Table ronde sur l’huile de palme durable », appelée en anglais « Roundtable on Sustainable Palm Oil » (RSPO). L’écolabel est sensé ralentir la déforestation et faire progresser les droits humains dans les plantations mais en vain. Alors que le RSPO est devenu « le plus important régime de certification volontaire de l’huile de palme dans le monde, certifiant aujourd’hui 2,6 millions d’hectares, soit environ 19 % de la production mondiale d’huile de palme », il « exige simplement le respect d’une législation indonésienne déjà peu contraignante », et n’a permis en aucune façon de ralentir la déforestation. Davantage, « il permet la conversion des forêts secondaires et l’assèchement des tourbières, il n’a pas empêché les violations des droits humains et il ne nécessite pas de réduction des émissions de Gaz à effet de serre ». « En réponse aux critiques, RSPO a développé un module complémentaire volontaire appelé RSPO NEXT, qui place la barre plus haut en matière de durabilité, en interdisant la conversion des tourbières et des forêts secondaires. Les 2 000 premières tonnes de cette huile de palme certifiée sont arrivées sur le marché en février 2018, mais ont été vendues sur la plateforme de négociation PalmTrace, qui n’offre aucune traçabilité vers la source ».

Face à ces lacunes majeures, la fondation appelle à « réduire la demande d’huile de palme, notamment en abandonnant les objectifs en matière de biocarburants, ainsi qu’à placer les nouvelles plantations en des zones non boisées, en imposant un moratoire sur l’expansion de l’huile de palme dans les forêts et les tourbières ». Il existe également  le label « Palm Oil Innovation Group » (POIG) qui est admis par les associations de défense de l’environnement. Fondé en 2013 par Greenpeace, le WWF, Forest Peoples Programme, Rainforst Action Network, mais aussi trois groupes produisant de l’huile de palme (Golden Agri-Resources, New Britain Palm Oil et Agropalma), le groupe vise un label exclusivement « zéro déforestation », la préservation des cultures vivrières des communautés locales, le contrôle des émissions de GES et un traçage efficace de l’huile.

Les labels MSC ne certifient pas des poissons exempts de surpêche

Pour bien choisir son poisson et éviter les espèces menacées, le label MSC (Marine Stewardship Council) ne fonctionne pas à tous les coups. On vous en parlait ici : sa labellisation des poissons empereur issus des stocks de Nouvelle-Zélande avaient déjà été décriées par de nombreuses associations, telle que BLOOM, fondée par la militante écologiste Claire Nouvian qui a reçu le prix Goldman pour l’environnement en avril dernier. Comme le souligne Changing Markets, « MSC et FOS (Friend of Sea) ont tous deux certifié que de nombreuses pêcheries étaient durables même lorsqu’elles surexploitaient, qu’elles présentaient des niveaux de prises accessoires très élevés et, dans certains cas, qu’elles étaient même en contradiction avec la législation nationale ». Le MSC a certifié plus de 9 millions de tonnes métriques de poissons en 2015 mais doit faire face à une demande supérieure à l’effectif de pêcheries véritablement durables. Une réalité commerciale qui empêche de se reposer sur le label pour s’assurer de consommer durable. Pour s’améliorer et en réponse à de nombreuses interpellations d’ONG, l’organisme a annoncé  cette année “renforcer ses exigences pour l’évaluation des pêcheries” et que “durant une même marée, toutes les activités de pêche sur un stock cible devront dorénavant être certifiées selon le référentiel MSC”. Une nouvelle exigence qui sera effective à partir d’août 2018.

Les labels qui certifient le coton et la viscose sont insuffisants

Comme l’affirme le rapport, « le secteur du textile a connu une prolifération de régimes volontaires et labels verts », qui sont actuellement plus d’une centaine figurant dans l’indice Ecolabel. Pourtant ces indices écolo ne suffisent pas à couvrir correctement les différents types de textile en manquant de transparence sur les modes de production, en n’effectuant pas assez de contrôle sur les marques, ce qui ne pousse pas ces dernières à rester vigilantes, ou même à promouvoir une fibre écologique. Par exemple, « en ce qui concerne le coton, il a été constaté qu’un régime peu contraignant – la Better Cotton Initiative (BCI), qui permet l’utilisation de produits chimiques toxiques et de semences génétiquement modifiées (GM) – s’est développé très rapidement aux dépens du coton biologique. Une enquête récente, diffusée à la télévision française (Lucet, 2017), a montré comment la BCI a dépassé la part de marché du coton biologique et que de nombreux agriculteurs sont passés du coton biologique au coton génétiquement modifié en raison de leur participation au régime BCI ». L’enquête n’approuve pas non plus l’indice écologique de l’Union européenne qui ne couvre pas suffisamment la viscose (textile végétal aussi parfois appelée soie artificielle, aujourd’hui produite de manière artificielle et qui se dégrade mal) et l’indice Higg pour son manque de transparence.

Afin d’améliorer la certification, la fondation Changing Markets recommande de renforcer la transparence de la chaîne d’approvisionnement, l’indépendance des organismes qui établissent les normes, une approche holistique à haute traçabilité visant à couvrir l’ensemble du cycle de vie d’un produit et ne permettant pas aux entreprises de choisir des critères, et enfin des améliorations continues des régimes qui doivent se baser avant tout sur la science.

Claire Lebrun

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